Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
Toujours plus haut, toujours plus cher avec nos millions.
Et puis avec tout plein de camions venus des montagnes, nous avons jeté derrière tout un tas de blocs de pierre, des blocs
bleus en granite, des pas en calcaire, des pas d'chez nous.
Je me souviens un soir de février le 28 je crois.
Le vent soufflait comme un cygne en hiver et nous partions fêter nos anniversaires.
Sur la route de la plage, quelques murs de parpaings cherchaient encore acquéreur,
Pour juste 140 000 euros, une famille pouvait rêver d'y construire une maisonnée pour que leurs enfants et leurs générations futures puissent y à faire des châteaux de sable à même la dune.
Le café de la plage était fermé comme tous les hivers et sa terrasse sur la dune : déserte.
Le restaurant des mouettes avait en juste un an pris de la hauteur :
un vaisseau gigantesque semblait s'être échoué dessus.
Un vaisseau de bois avec tout plein de cabines pas encore ouvertes.
Je me souviens des canapés de lumière colorées aux balcons,
c'était comme un arche de Noé encore vide écharpé de guirlandes de noël.
Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
L'année derrière au moment de remettre les cabanes de l'été
nous nous sommes aperçu qu'on y verrait plus la mer.
Alors le camion de la ville est revenu remettre un autre tas de cailloux,
des plus petits des blancs avec des coquilles plus de chez nous :
une sorte de monticule pour rehausser les cabanes.
Je me souviens c'est lendemain du 29 donc je crois
ou le 1 car le 29 en février trois fois sur quatre il existe pas
nous remontions le boulevard de la mer les pieds dans la mer.
Quelque chose de pas normal c'était passé là, dans la nuit.
Un hélicoptère bourdonnait haut dessus de la voie ferrée
le chemin qui nous amenait chez nous s'était pris pour un ruisseau
et avec de l'eau aux genoux nous descendions son cours
pour vivre une semaine comme sur une île dans notre location à l'étage.
Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
Entre le terre-plein des ballastes du train et la mer nous avons tout racheté avec nos millions
L'hotêl, les campings et toutes les maisons,
sauf encore celle de papi Loulou qui fait de la résistance.
Avec nos millions nous avons fait table rase de notre insouciance,
de notre négligence, de notre absence de mémoire et de connaissance.
Je me souviens les lendemains de la tempête, de la solidarité avec ceux qui avaient tout perdu, avec les familles des disparus.
Des reportages en boucle de BMF TV avec trois plans de caméra : toujours les mêmes dans la cité tout près du lac, une sorte de grande cuvette où dans les ruelles le niveau d' eau se maintenait au niveau du haut des portières des autos. Les pompes prirent des jours pour vider cette immense poche d'eau salée.
Et puis il y a eu la colère de ceux qui habitaient la zone noire et qui voulaient y rester.
Nous, nous allions désormais vivre en zone jaune : deux grandes patatoïdes qui recouvrent si l'on y regardait de plus près toute la surface occupée jadis par les marais doux arrière dunaire au sud du boulevard de la mer et les anciens marais salants au nord.
Ces marais qui ont été progressivement comblés ou grignotés en pour y faire là une cabane, ou ici un garage puis une maison et en contrebas un nouveau garage qui deviendra un studio à louer pour les vacances ou une collocation le reste de l'année pour étudiants.
Et ainsi de suite, toujours plus près du marais, toujours plus bas et désormais sous le niveau de la mer.
Au Nord c'était un nouveau Lac que nous avions recreusé dans les vieux marais.
Un beau lac paysager avec canards suralimentés qui s'y regroupent en attendant d'attraper la grippe aviaire. Des compagnies de ragondins y prennent un malin plaisir à éroder les berges trop abruptes.
Et autour des nouvelles résidences de standing locatif avec leur imprenable vue sur ce tout beau et nouveau lac : bien plus présentable que des vieilles claires ensauvagées.
Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
Et puis maintenant nous allons amener du sable sur la plage avec des camions.
Des tonnes de sables que nous déposerons au pied de la dune et que nous piétinerons.
Quelques milliers de mètres cube de sable qui trop vite repartiront au sud de la baie pour ensabler la toute nouvelle porte à flot des marais.
Car à Angoulins il reste un mystérieux labyrinthe de claires où poussent et bleuissent des huîtres d'une qualité remarquable. Une huître qui prospère dans ce beau paysage à l'abri de la célèbre pointe géologique du Chay.
Ce même paysage qui a presque entièrement disparu à Aytré derrière la pointe du Roux.
Je me souviens de cette belle journée de samedi dernier.
Nous vous avions donné rendez-vous pour visiter les digues, le soleil était avec nous.
Juché sur le tas de sable coquillé nous avions exprimé notre profonde déception sur les travaux réalisés aux abords du parc de Gaudchaud. C'est ici l'entrée du site de la baie d'Aytré.
L'entrée vers notre « promenade des Rochelais » où l'on vient y admirer les plus beaux couchers de soleil de la côte avec ses reflets sur les blanches falaises et toujours l'ombre du plus beau et bleu carrelet. Un lieu de passage et de rencontre obligé où souvent nous venons trinquer.
Juché sur le tas de sables coquillé, je voulais vous dire une chose mais je n'ai pas osé ne voulant pas passer pour le mauvais prophète.
Avec ou sans mur, avec ou sans dune, la mer ou la pluie reviendront remplir les cuvettes des zones jaunes. Tout le monde le sais c'est juste une question de temps.
Est-ce que ce sera si grave que ça ?
Plus maintenant que les maisons les plus exposés (celles coincées entre la mer et la voie ferrée) ont été rasées.
Il n'y aura plus mort d'homme. L'eau viendra de nouveau et montera lentement ne faisant que des dégâts matériels. C'est le cas dans bien des endroits en France, par exemple pour tous ceux qui vivent dans les lits majeurs des rivières.
Dans les mesures du PAPI, il est normalement prévu de mettre sur des maisons inondées des repères pour rappeler à quel niveau l'eau est montée pendant la tempête Xynthia.
Comme sur les mires des ponts ou sur les édifices publiques, on trace un trait avec une date à ne pas oublier.
Un repère qui nous suggère aussi que la nature retentera un jour de battre son record.
Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
Et maintenant que ferons nous derrière ce mur ?
Que ferons nous de tout cet espace que la mer a envahi jusqu'à la voie ferrée.
Que ferons de cette zone noire indélébile. Sera-t-elle vraiment à jamais inconstructible ?
Déjà les belles herbes folles reviennent y couvrir les ruines abandonnées ou les parcelles fraîchement labourées débarrassées des gravas des maisons démolies.
La nature à horreur du vide et revient vite reconquérir les espaces où l'homme lui accorde un peu de répit.
Le vent y siffle parfois entre les pins.
C'est peut-être une complainte, une prière à la mémoire des gens qui se sont noyés là tout près, emmurés dans une maison de rêve subitement engloutie.
D'autres sont partis refaire leur vie ailleurs plus loin de la mer.
Mais quand le vent souffle fort les nuits des tempêtes d'hiver : trouvent-ils encore le sommeil ?Et sinon à quoi pensent-ils ?
Au bord de la plage nous avons reconstruit un mur en béton.
Alors que ferons nous de cet espace de la baie d'Aytré-Angoulins ?
Un parc de loisirs ? Un parc d'attraction ? Un sanctuaire pour ne pas oublier que la mer reviendra ? Un espace naturel tampon pour nous protéger ?
Ou un peu de tout cela ?
On verra bien mais au moins saisissons avec l'association « effet mer » toutes les occasions pour en discuter et pour réfléchir ensemble au meilleur des projets.
Thierry ANTON :
membre du CA d'EFFET MER.