Ce matin je me suis retrouvé dans un garage à coller du PVC de 100 pour une évacuation et je n'avais pas le coeur à l'ouvrage.
Lundi soir le téléphone a sonné à la maison, Marie a décroché puis est venue m'annoncer que Pascal, l'actuel conservateur de la réserve du Pinail venait de lui dire que Jean-Pierre était mort.
Le lendemain je me suis rendu le matin au domicile de Claude , elle était entourée de ses petits enfants, qui ont eu la gentillesse de m'ouvrir la porte et m'offrir un café.
Claude est descendue, elle était en larmes et m'a pris dans ses bras; nous avons pleuré ensemble. Puis je lui ai demandé si elle pouvait m'emmener à l'enterrement de Jean-Pierre.
Mercredi matin, nous voilà donc en route vers Châtellerault, Pierre-Yves le petit fils au volant. On parle. De voile bien sûr.
Pierre-Yves est jeune extra, bien dans ses baskets, bien dans sa filiation : il a fait sport étude voile et c'est un ingénieur en matériaux et structure. Il bosse dans un grand bureau d'étude pour des grands groupes de voile dont GROUPAMA. Il a remporté le National muscadet l'année dernière.
A Poitiers, nous récupérons deux filles de Claude qui vont l'accompagner pour cette journée particulière.
Ils me laissent à Bonneuil/Matours, où je dois rejoindre Pascal, le conservateur de la réserve naturelle du Pinail. Comme il n'est pas encore là, je décide d'aller prendre un café au bistro de la place : le restaurant du Lys : il s'appelle je crois. Un homme d'une cinquantaine d'année m'interpelle : «Salut Thierry, je t'offre un verre ?». Il est vêtu en treillis : un gars du coin, pêcheur-chasseur. Je retrouve vite des automatismes : « Alors y a de l'eau dans la Vienne ? Et les sangliers sur le Pinail, toujours autant ?». Après un premier pastis, je finis par me souvenir qu'il s'agit de Patrick. Il vit toujours avec sa mère aux Quatre vents : la route qui mène à la réserve. Il me parle des chèvres poitevines qui s'échappent toujours... rien de nouveau. Par politesse je lui remets ma tournée. Voilà une demi-heure que je suis de retour et j'ai déjà deux jaunes dans l'estomac... j'ai bien fait de partir de ce bled (et encore ce n'était pas un bistro de Vouneuil !), j'y serais devenu ivrogne !
Puis je retrouve Pascal, Christophe et Yann le nouveau chargé de mission que je connaissais pas. On mange ensemble. Christophe, il est venu jadis dans mon bureau de conservateur. C'était il y a plus d'une quinzaine d'année. Il venait de finir une année de stage ré-insersion par la nature au CINEV avec Jean-baptiste B. et Emmanuelle A. Je me souviens très bien qu'il n'avait pas dit un mot et regardait le sol. Je faisais les questions et les réponses et donc je l'ai pris en stage à la réserve puis embauché à SERPE. En 2005, quand j'ai quitté mes fonctions, je lui ai donné mon uniforme de conservateur et lui ai demandé de prendre soin de la réserve. Il y est toujours; il me servira de chauffeur pour aller à l'église de la plaine d'Ozon Chatellerault où aura lieu la cérémonie.
Nous voilà devant le parvis de l'église. Il y a plein de monde, l'église sera bondée.
J'ai vraiment une appréhension, voilà huit ans que je suis parti sans vouloir depuis y retourner... (voir pourquoi).
nous voilà tous rentrés dans l'église. Un prêtre ouvrier (oui ça existe encore !) l'ami de Jean-pierre conduit un drôle d'office, plus laïque que religieux. Les témoignages s'enchaînent tous de bonne tenue sans trop de larmes, rendant hommage au grand homme aux multiples réseaux qu'était Jean-Pierre.
Marie-Françoise sa femme et Claude font preuve d'une force incroyable : deux femmes exceptionnelles.
Et à la fin, c'est Laurent F. qui parle aussi de Jean-Pierre. Et là tout comme lui, j'ai le profond sentiment d'être devenu un peu orphelin.
Des «pères» pendant ces 13 années à tourner autour du Pinail, j'en ai eu quelques-un: Yves B. et Yves T. , Robert R. Pierre DeM et Michel G. et enfin Jean-Pierre et je ne pensais pas que ce serait lui que je perdrais en premier.
Tout ou presque a été dit sur Jean-Pierre lors de la cérémonie mais je peux me permettre de poursuivre l'histoire de Laurent et de la feuille sur son bureau lors de la retraite de JP: cette feuille avec une petite liste de tâches qui reste à faire qu'il a trouvé en rentrant dans le bureau vacant à la Région me rappelle ô combien Jean-Pierre nous avais appris à maîtriser notre temps professionnel.
Chaque année, quand c'est l'heure d'acheter un nouvel agenda, je pensais (et penserai désormais) à lui. Car il ne s'agit de pas n'importe quel agenda : il en faut un avec d'un côté l'emploi du temps et en vis à vis une page blanche. Le mien c'est un italnote de QUO VADIS.
Sur la page blanche, on liste les tâches à faire. Dans l'emploi du temps, on réserve une plage horaire pour gérer son agenda. Cela consiste à mettre des numéros de priorité sur les tâches à faire et trouver un temps sur le planning de caser les prioritaires dans la semaine. On recommence ça toutes les semaines et je vous assure que tout marche bien mieux avec cette méthode.
J'ai toujours le même agenda depuis que j'ai travaillé avec Jean-Pierre et même s'il n'y a souvent plus grand chose à mettre dedans, dès que je suis débordé ce qui peut m'arriver disons quelques fois dans l'année, j'applique la méthode MORISSET et je m'en sors parfaitement !
Tiens lors de la cérémonie, j'ai appris qu'il y a deux sujets que nous n'avons jamais abordés avec Jean-Pierre et pourtant cela aurait pu donner lieu à des discussions passionnées : le judo et la CFDT.
J'ai pas eu le temps de raconter qu'avec quelques collègues nous avions monté une section CFDT «réserves naturelles». C'était pour obtenir notre titularisation au Ministère de l'Environnement en même temps que les agents de l'ONC. J'ai des souvenirs de négociations avec le Ministère à Paris qui l'auraient fait bien rigoler.
Pour résumer, ça c'est fini en jus de boudin avec une sorte d'ultimatum : vous voulez pas nous titulariser ? Bon alors on bloque tout ! La migration des busards et des amphibiens et vous allez voir ce que vous allez voir ? Bon vous l'aurez voulu, on vous aura prévenu ! On est rentré chacun dans notre réserve. Le président de section Luc T. est devenu fonctionnaire dans une DIREN et notre section s'est auto-dissoute ! Il aurait fallu un Jean-Pierre à nos côtés à la table des négociations.
Le judo enfin. Avec le figuier, c'est le judo qui m'a sauvé. J'ai repris à quarante ans cette activité de jeunesse à Aytré et j'ai passé ma ceinture noire. Cela m'a donné un peu d'allant et surtout permis de revisiter son code moral :
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La politesse, c'est le respect d'autrui
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Le courage, c'est faire ce qui est juste
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La sincérité, c'est s'exprimer sans déguiser sa pensée
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L'honneur, c'est être fidèle à la parole donnée
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La modestie, c'est parler de soi-même sans orgueil
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Le respect, sans respect aucune confiance ne peut naître
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Le contrôle de soi, c'est savoir taire lorsque monte sa colère
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L'amitié, c'est le plus pur et le plus fort des sentiments humains.
Le fait que Jean-Pierre fut un judoka ne m'a pas surpris tant il incarnait ces valeurs.
Après l'église Yves T. et sa femme m'ont fait le plaisir (si j'ose dire) de m'emmener à l'enterrement à Vouneuil/ Vienne dans son cimetière quelques peu décrépit.
Tout le monde semblait être là pour bien réaliser que Jean-Pierre était bien mort.
Je me suis fait la réflexion de savoir comment un si grand gaillard pouvait bien tenir dans un cercueil si petit.
Et puis on a plus librement bavardé.
Je me suis surpris à prendre des nouvelles de Rémi F. et d'avoir plaisir à l'entendre raconter sa nouvelle vie.
J'ai embrassé Sandrine P. et Claire T. et me suis fait la réflexion que le CPIE était entre de belles et bonnes mains. Mais elles doivent savoir que désormais tout va être plus difficile et qu'ils ne leur pardonneront plus aucune erreur.
En enterrant Jean-Pierre, j'enterrais moi aussi définitivement 13 ans de ma vie de Vouneuillois. Je reviendrais désormais sans crainte et la tête haute. Je lui devrais aussi cela à Jean-Pierre.
Ensuite on a été à "La barque" de Marie-Françoise et on a dégusté un merveilleux buffet préparé par les membres de cette association exemplaire.
Puis il y eut le retours vers La Rochelle, avec toujours Pierre-Yves au volant et sa grand mère à ses côtés. Et on a reparlé voile... et l'IPHONE de Pierre-Yves a sonné : "PUTAIN DE MERDE! s'est-il écrié !
- Quoi donc, osai-je ?
- C'est le TEAM GOUPAMA qui vient de m'appeler : le bateau vient de démâter et c'est moi qui en tant que stagiaire ai participé au calcul de résistance !!!
Voilà, la vie peut être une aventure passionnante et maintenant que Jean-Pierre n'est plus là je vais avoir besoin de vous tous (notamment mes anciens amis) pour finir «notre transat».
Car une chose est sûre, je me dois de la faire cette mini-transat : pour continuer l'aventure avec Claude et juste aussi pour voir, si au beau milieu de l'océan, lorsque je m'assoupirai alors qu'un danger me guette, je ne recevrai pas une grande claque au sommet du crâne et là, j'entendrai la voie gargantuesque du président de "NOTRE TRANSAT" me rappeler à mes devoirs de marin !